Sabine Wespieser, l’« énergie centrifuge » de la littérature
L’éditrice indépendante décrypte son parcours et la stratégie d’édition classique qui a fait son succès.
La démarche de Sabine Wespieser, directrice des éditions qui portent son nom, prend à contre-pied le discours dominant dans l’édition. « Mon objectif n’est pas du tout de me développer, explique l’éditrice. Je publie dix titres par an, cela me permet de les travailler en profondeur, de construire un catalogue cohérent avec une trésorerie indépendante. » Loin des dynamiques élaborées par les groupes d’édition, qui misent sur la croissance, Sabine Wespieser évolue pourtant dans un univers qu’elle connaît bien. Elle a d’abord passé 13 ans chez Actes Sud, où elle est entrée en 1986 et a été l’assistante éditoriale de son fondateur, Hubert Nyssen, avant de diriger la collection Babel. Avant de «monter sa boîte», comme elle dit avec amusement, elle fait ensuite un bref détour par Flammarion où, à la direction de la collection Librio en 1999, elle apprend « ce qu’[elle] refuse : le modèle de l’offre et de la demande, la toute-puissance du marketing. C’est très important de savoir ce qu’on ne veut pas ! », sourit l’éditrice.
« J’étais professeur de lettres classiques, et l’édition m’a semblé être un endroit où l’on pouvait se confronter à la littérature autrement, raconte-t-elle. Actes Sud, quand j’y suis entrée, était un phalanstère de 20 salariés. C’est cet esprit de petite maison défendant la littérature que je voulais recréer. » Sabine Wespieser éditeur voit le jour en 2000, sur des fonds personnels. « Nous sommes arrivés à l’équilibre en 2005. Mon but était de légitimer la maison comme éditeur de littérature. Cela passait par une cohérence graphique et éditoriale avec une politique d’auteurs très classique. Mon modèle a toujours été Christian Bourgois. »
Avec des auteurs fidèles, francophones ou étrangers (« Je traduis des livres que je peux lire en langue originale, et in extenso »), le catalogue est à l’image d’une culture éclectique et ouverte. Mais Sabine Wespieser reste modeste: « définir sa ligne éditoriale, c’est faire son portrait chinois... Je peux dire que je viens des lettres classiques ; la forme et le fond ont ensemble une signification. » Son attention pour le style explique aussi la part importante d’écrivains francophones non métropolitains dans son catalogue : « Une littérature qui s’écrit dans un territoire lointain est innervée par ce dernier, aussi bien dans ses thèmes que dans sa langue. J’aime que la littérature prenne à bras le corps son texte, avec une énergie centrifuge. Ce qui me fait choisir un texte c’est tout de même l’émotion, qui garantit son universalité. »
Fanny Taillandier